Il y a des films qui condensent à eux seuls une époque, un ton, une manière de filmer le crime. Sorti en 1969, Le clan des Siciliens d’Henri Verneuil appartient à cette lignée rare : celle des polars dont la mécanique est si précise qu’elle en devient une signature.
Ce soir, France 3 redonne vie à ce monument du cinéma français, réunissant pour la première et unique fois Jean Gabin, Alain Delon et Lino Ventura — un trio mythique, une rencontre entre générations et tempéraments qui a façonné la légende du genre.
Le hold-up parfait… ou presque
Inspiré du roman d’Auguste Le Breton, le film suit Roger Sartet (Delon), un voleur de bijoux évadé grâce à l’aide du clan Manalese, une famille mafieuse sicilienne menée par Vittorio (Gabin). Ensemble, ils montent un casse spectaculaire : voler une collection de bijoux pendant son transfert aérien entre Rome et New York.
Mais entre trahisons, désirs et codes d’honneur, les alliances vacillent. En parallèle, le commissaire Le Goff (Ventura) resserre l’étau, incarnant une justice inflexible face à des criminels qui n’ont plus foi qu’en leur propre loi.
Trois géants, une seule affiche
La rencontre de Gabin, Delon et Ventura relève presque du fantasme cinéphile. Verneuil, déjà maître du polar avec Mélodie en sous-sol, orchestre ici un duel à trois où chaque acteur incarne une facette du pouvoir :
Gabin, patriarche silencieux, incarne la vieille école, celle du code et de la loyauté ;
Ventura, flic obstiné, donne au film sa tension morale ;
Delon, jeune loup à la beauté glacée, annonce déjà une modernité désenchantée.
Le réalisateur s’appuie sur leurs différences pour construire un équilibre fragile, presque musical. Aucun ne domine l’autre : chacun brille à sa manière dans ce ballet d’orgueil et de fatalité.
Un film d’envergure internationale
Produit par la 20th Century Fox, tourné entre Paris, Rome et New York, et accompagné d’une partition inoubliable d’Ennio Morricone, Le clan des Siciliens appartient à une époque où le polar français flirtait avec la superproduction.
La scène du d détournement d’avion, tournée avec un véritable DC-8, reste un modèle de tension chorégraphiée. Verneuil y mêle réalisme et stylisation, faisant de chaque plan un morceau d’ingénierie filmique.
Le tournage, marqué par l’affaire Markovic qui éclaboussait alors Alain Delon, se déroule dans une atmosphère électrique. Mais rien n’en transparaît à l’écran : la mise en scène de Verneuil est d’une rigueur quasi documentaire, au service d’un récit implacable.
Un triomphe populaire et critique
À sa sortie, en décembre 1969, le film est un succès colossal : plus de 4,8 millions d’entrées en France et un total de 15 millions de spectateurs dans le monde.
Il se hisse à la troisième place du box-office français et s’impose comme l’un des plus grands succès de Verneuil.
Les critiques saluent un « film d’acteurs », un « polar d’orfèvre » où chaque détail — du cadrage à la musique — participe d’une mécanique implacable.
Le chant du polar français
Le clan des Siciliens symbolise un âge d’or : celui d’un cinéma où le crime s’écrivait à la machine à écrire, avant l’ère des thrillers technologiques.
C’est un film sur l’honneur et la trahison, sur la loi du sang qui se heurte à celle du devoir.
Fiche technique
Titre original : Le clan des Siciliens
Réalisation : Henri Verneuil
Scénario : Henri Verneuil, José Giovanni, Pierre Pelegri
Musique : Ennio Morricone
Avec : Jean Gabin, Alain Delon, Lino Ventura, Irina Demick, Amedeo Nazzari
Durée : 2h02
Pays : France, Italie
Sortie : 5 décembre 1969
Pourquoi le revoir aujourd’hui
Parce qu’il incarne la quintessence du polar français : élégance, tension, économie de dialogues et regard lucide sur la corruption des hommes.
Parce qu’il réunit trois monuments du cinéma dans une partition unique.
Et parce qu’au fond, derrière les flingues et les codes d’honneur, Verneuil signe une tragédie familiale — celle d’un clan voué à s’autodétruire, entre fidélité et vengeance.
