On croyait la Corse télévisuelle enfermée dans ses éternels clichés : flics fatigués, bandits romantiques et petits arrangements entre cousins. Mais Plaine orientale, la nouvelle mini-série signée Pierre Leccia, vient dynamiter la carte postale à coups de regard noir et de pactes toxiques.
Diffusée depuis le 26 mai sur Canal+, cette fiction nerveuse en huit épisodes ramène la caméra dans une île pas tout à fait comme les autres – pas pour en faire un décor, mais un nœud. Ici, les routes serpentent entre les règlements de comptes et les silences familiaux. Et la mer n’a rien d’apaisant : c’est le miroir trouble d’un territoire où le sang sèche plus vite que la mémoire.
Au centre du jeu : Reda, un ex-taulard revenu d’entre les morts, et Inès, sa demi-sœur magistrate, que tout oppose sauf une obsession commune : faire tomber Carlotti, le parrain tentaculaire du nord de l’île. Ensemble, ils vont jouer une partie à double fond, où la justice flirte avec la vengeance, et la fraternité avec la trahison.
Une Corse à nu, entre clan et conflit moral
Écrite et réalisée par Pierre Leccia (Mafiosa), Plaine orientale propose une relecture contemporaine du récit mafieux corse, sans folklore ni exotisme de façade. Le titre renvoie à cette bande de terre au nord-est de l’île, à la fois rurale, tendue, et peu représentée à l’écran.
Ici, les rapports de force sont géographiques autant que psychologiques. Reda (Raphaël Acloque) sort de prison avec un seul but : détruire celui qui l’a trahi et dirigé toute sa vie à distance. Mais pour s’en approcher, il devra pactiser avec sa propre histoire – et avec une demi-sœur (Lina El Arabi, impressionnante) qui veut incarner l’État dans une région où la loi a longtemps parlé corse… mais pas toujours français.
Entre polar sec et tragédie familiale
On pourrait croire à une énième série de vendetta, mais Plaine orientale joue une partition plus fine. C’est un drame familial corseté dans un polar, un duel mental entre générations, codes d’honneur et institutions boiteuses.
Le personnage de Carlotti (jamais montré frontalement dans les premiers épisodes) plane comme une ombre politique, économique, presque mystique. Le crime est ici une structure de pouvoir, pas une suite d’actes violents. Et la justice ? Une idée. Fragile. Tordue. Presque abstraite.
Ajoutez à cela une bande-son tendue signée Pierre Gambini, une photographie sans maquillage tournée entre Bastia, Aleria et Moriani-Plage, et une mise en scène rigoureuse qui laisse le silence faire le sale boulot.
Un casting sans gras
Pas de têtes d’affiche surexploitées, mais un casting resserré et inspiré :
- Raphaël Acloque, vu dans Le Bureau des légendes, incarne un Reda rugueux, à mi-chemin entre chien battu et bombe à retardement.
- Lina El Arabi, remarquable depuis Noces, apporte à Inès une tension sèche, un mélange de détermination et de blessure muette.
- Veerle Baetens complète le trio dans le rôle d’Eva Maertens, juge étrangère au territoire mais pas à ses lois implicites.
Canal+ à nouveau sur des terres fertiles ?
Avec Plaine orientale, Canal+ renoue avec une tradition de séries d’auteur ancrées dans un réel abrasif : après Engrenages, Baron Noir ou Paris Police 1900, voici un polar contemporain qui sent la poussière, la sueur et l’eau croupie sous les ponts.
Mais pas de tapage promotionnel ni d’effet d’annonce. La série s’installe discrètement, comme un règlement de comptes qu’on n’a pas vu venir. Et c’est peut-être là sa force.
Fiche technique
- Créateur / Réalisateur : Pierre Leccia
- Diffusion : Canal+, les deux premiers épisodes depuis le lundi 26 mai 2025
- Format : Mini-série, 8 épisodes
- Acteurs principaux : Raphaël Acloque, Lina El Arabi, Veerle Baetens
- Production : Scarlett Production, Canal+ Création Originale