Depuis son lancement le 2 octobre, Monster : The Ed Gein Story s’impose comme la saison la plus dérangeante du cycle criminel initié par Ryan Murphy et Ian Brennan. Après Dahmer, la série explore l’origine d’un autre mythe américain du mal : Ed Gein, tueur du Wisconsin dont les crimes ont inspiré Psychose, Massacre à la tronçonneuse et Le Silence des agneaux.
Mais sous l’horreur, la série cache une question beaucoup plus troublante : le monstre, est-ce vraiment lui — ou la société qui l’a façonné ?

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Une fin entre délire, rédemption et spectacle morbide

Dans le dernier épisode, Ed Gein (Charlie Hunnam) est interné dans un hôpital psychiatrique, rongé par le cancer et hanté par ses propres fantômes. Le récit bascule dans le délire, entre hallucinations et souvenirs, où le tueur dialogue avec des figures réelles ou fantasmées — notamment Adeline, sa compagne ambiguë, et les tueurs qu’il a influencés, de Richard Speck à Ted Bundy.

 

Hunnam joue ici un homme vidé, persuadé de pouvoir “aider” le FBI à arrêter Bundy grâce à ses visions. Il s’imagine enfin utile, au service du bien. Dans sa tête, il croit encore pouvoir contrôler quelque chose : la violence qu’il a mise au monde. Mais cette illusion est aussi la clé de sa chute.

Lorsque la mort s’approche, Gein rêve qu’il traverse les couloirs de l’hôpital entouré des tueurs qu’il a inspirés, acclamé comme une idole. Manson, Brudos, Kemper, Speck… tous le félicitent. Le monstre devient prophète, et la série montre le vertige d’un tueur qui meurt persuadé d’avoir “marqué l’histoire”.

C’est là que Murphy et Brennan opèrent un basculement de ton : la séquence est filmée comme une comédie macabre, presque musicale, référence explicite à All That Jazz. Un choix volontairement ambigu : faut-il y voir la gloire posthume d’un homme malade ou une critique de la fascination médiatique pour le mal ?

“Are monsters born or made ?”

C’est la question centrale de la série, selon Ryan Murphy. “Chaque saison interroge la même chose : les monstres naissent-ils ou sont-ils fabriqués ?” explique-t-il à Tudum. Dans le cas de Gein, tout semble venir d’un double enfermement : une mère abusive et une société qui a préféré le diaboliser plutôt que de le soigner.

L’épisode 7, consacré à son diagnostic, montre comment la psychiatrie a enfin mis un mot sur son trouble — schizophrénie — et comment ce diagnostic aurait pu, plus tôt, éviter le pire. “Il vivait dans un monde qui lui paraissait cohérent”, dit Hunnam. “Ses hallucinations étaient son réel.”

Murphy pousse plus loin : “Ed Gein, c’est aussi le reflet d’une Amérique qui a cessé de soigner ses malades mentaux. On montre comment les institutions ont disparu, et ce que cela produit : des générations de monstres que personne ne veut comprendre.”

Une mort comme miroir

La scène finale condense toute la logique du show. Alité, Ed voit sa mère Augusta (Laurie Metcalf) lui apparaître en haut d’un escalier. Elle lui dit : “Tu as changé le monde.”
Dans son esprit, ce n’est plus une condamnation mais une bénédiction. L’homme qui a inspiré les pires figures du cinéma meurt avec le sourire, persuadé d’avoir accompli quelque chose.

Murphy et Brennan insistent sur cette ironie : Gein meurt adulé par ceux qu’il a contaminés. L’image de Leatherface qui conclut la série enchaîne symboliquement Gein à tout un pan de culture populaire — l’horreur devenue spectacle.

Dans les toutes dernières secondes, des adolescents vandalisent sa tombe, avant d’être effrayés par les silhouettes de Norman Bates et Buffalo Bill. Une métaphore limpide : le mal ne meurt pas, il se recycle, il hante les écrans.

Monster : The Ed Gein Story parle moins d’un tueur que d’une culture qui l’a transformé en mythe,” résume Ian Brennan. “Nous avons fini par aimer nos monstres.”

Analyse : un miroir tendu au spectateur

En filmant Ed Gein avec un regard presque compatissant, Charlie Hunnam et Ryan Murphy déplacent le centre de gravité du récit. Le malaise ne vient plus seulement de ce qu’on voit, mais de ce qu’on regarde.

Ian Brennan le dit sans détour : “Cette série retourne la caméra vers le public. Les images qu’on consomme laissent des traces.”
Ce que Monster suggère, c’est que la société qui s’est nourrie de Gein — de Psychose à Netflix — perpétue sa légende, comme si l’Amérique avait besoin de ses monstres pour se sentir vivante.